Sa manière rapide et intuitive de réagir, et de porter des jugements, demeure bien souvent rudimentaire et laborieuse. N'en déplaise à ceux qui croient leur cerveau doté d'une logique imparable. Il est en réalité très bon pour déterminer s'il doit fuir ou s'immobiliser face au danger, très bon aussi pour décider s'il doit régurgiter des "aliments" non-comestibles qui pourraient nuire à notre santé. Mais prendre une décision intuitive dans une situation qui nécessite un raisonnement analytique l'entraîne à ignorer toutes les informations pertinentes.
Jérôme est en thérapie avec un praticien depuis plusieurs semaines. Ce dernier le questionne sur une situation dans laquelle Jérôme se retrouve bloqué, sans trouver la moindre volonté de s'en défaire, alors que de toute évidence, cette situation doit cesser. Les débats s'enchaînent entre lui et le praticien qui, parce qu'il connaît l'influence et le poids du passé, tente d'expliquer cette difficulté.
Le praticien lui pose des questions du type : "Quel rapport entretenez-vous avec la volonté ?" " Quand, dans votre passé, vous êtes-vous déjà retrouvé dans une situation semblable, et dans laquelle vous ne parveniez-pas à vous extraire ?"
Il est logique de s'intéresser au passé, mais parfois, c'est un piège. Pourquoi ? Parce que le cerveau (il y a consensus scientifique sur le sujet) se raconte des histoires.
Jérôme pourrait répondre : "Quand j'avais dix ans, je me souviens, je manquais déjà de volonté." Le praticien pourrait alors demander : " Comment l'expliquez-vous ?" "Si je manquais de volonté, on agissait à ma place, je crois !" pourrait répondre Jérôme. Le praticien déciderait alors d'approfondir cela, creusant du côté de l'enfance et espérant que cela débloque "ce manque de volonté" qui le maintient aujourd'hui dans une situation douloureuse, sans que pour autant cela soit une réalité.
En fait, je ne dis pas que ce n'est pas la bonne solution. Je dis qu'il est utile de comprendre que le cerveau humain est constitué de mécanismes cognitifs automatiques et inconscients qu'on ne contrôle pas, et qui nous "trompent".
Le manque de volonté de Jérôme a peut-être bien un lien avec son passé, c'est vrai. Mais un biais cognitif appelé biais de statu quo pourrait bien être la cause de ce problème. Son rôle est de nous faire préférer une situation difficile et douloureuse, mais connue, plutôt que différente et plus bénéfique à long terme, mais inconnue.
Vous vous dites peut-être : Mais lorsque le praticien a interrogé Jérôme sur la raison possible et sur son enfance, il a été capable de répondre !
Oui, c'est vrai. Un autre biais cognitif appelé biais de narration consiste à construire de toutes pièces une histoire qui convient à la situation.
En effet, nous pouvons inventer une histoire pour nous expliquer ce que nous ignorons. Une étude menée dans les années 2000 sur des centaines de sujets, hommes et femmes, a démontré la chose suivante : nous sommes capables d'expliquer les raisons d'une décision que nous n'avons pas prise, ou d'un choix que nous n'avons pas fait.
L'étude a été réalisée de la manière suivante.
Nous avons un sujet (homme ou femme adulte) assis en face d'un homme en blouse blanche qui est en réalité un illusionniste, ce qu'ignore évidemment le sujet. L'homme en blouse tient une photo de visage de femme dans chacune de ses mains et les montre au sujet qui est sommé de choisir la femme qu'il préfère, ou qu'il trouve la plus attirante. Les visages ne sont pas les mêmes sur les deux photos. Le sujet en choisi une (disons la photo de la main droite), l'homme en blouse les retourne et se sépare de l'autre photo (celle de la main gauche). Ce que le sujet ignore, c'est que l'homme a la blouse a fait un tour de passe-passe, et que la photo présente dans sa main droite n'est plus celle que le sujet a choisi. Il montre néanmoins cette photo au sujet et lui demande quelles sont les raisons de son choix.
Dans presque tous les cas, le sujet explique avec des détails précis pourquoi il a choisi ce visage : "J'adore les femmes avec des boucles d'oreilles, c'est surtout ça qui a pesé dans la balance !" Ou encore : "Elle a des yeux bleus, j'aime cette couleur." Ou bien : " Elle a une peau qui semble si douce !".
Le problème, comme vous l'aurez compris, c'est que le sujet n'a justement pas choisi cette photo, et qu'alors il est en train de justifier un choix qu'il n'a pas fait. Pire, la photo qu'il a véritablement choisie est très différente de celle qu'on lui a montrée. La femme qu'il a choisie, elle, n'a pas de boucles d'oreilles, et ses yeux sont verts !
Le cerveau se raconte des histoires auxquelles il croit ; auxquelles nous croyons.
Passons en revue certains autres biais qui méritent notre attention, afin d'éviter quelques pièges. Bien que ces biais apparaissent dans les entretiens thérapeutiques, ils surviennent aussi à tous moments, dans nos discours et nos prises de décision. Il est très important de les connaître pour les éviter. Même s'il est clair que nous ne les éviteront pas tous, et pas toujours.
Le biais d'ancrage
Ce biais consiste à utiliser une information comme référence. Il s'agit généralement du premier élément d'information que nous avons acquis sur le sujet.
Vous rencontrez un médecin qui vous semble agréable à première vue. Si un peu plus tard, il vous parle mal, ou est très désagréable avec vous, vous aurez une tendance inconsciente à vous référer à votre première impression (il est agréable) pour donner une excuse à son comportement.
Le biais de confirmation
Le biais de confirmation est la tendance à ne retenir que les informations qui vont dans le sens de ce que l'on pense, ou de ce que nous croyons. C'est le fait de conserver les informations qui confirment nos croyances et ignorer toutes celles qui les contredisent. Ce biais est un des plus couramment utilisés, notamment en ces temps de pandémie ou les fakesnews affluent sur les réseaux sociaux.
Exemple : Si je crois que la COVID-19 est un virus inoffensif (croyance de départ), j'aurais tendance à rejeter tous les articles qui prouvent (armés de sources fiables) la dangerosité du virus, et à retenir tous ceux qui prétendent le contraire, même s'ils sont de mauvaises qualités ou que je ne connais pas la source. Si j'ai un raisonnement motivé, je ne suis plus objectif.
C'est ainsi que les fakesnews se propagent et prennent tant l'ampleur. Tous ceux qui propagent des fakesnews ont un raisonnement motivé. Et vu qu'ils croient à la fakesnews partagée, ils sont sincères et honnêtes.
Souvenez-vous que si je confirme ce que je pense, j'évite d'entrer dans la dissonance cognitive. On confirmant ce que je crois savoir, je me préserve du stress et de l'anxiété. Donc, je maintiens en moi un certain confort cognitif.
Autre exemple : Julie est jalouse, et son couple en souffre depuis des mois. Nicolas, son compagnon, rentre après 19 heures certains soirs, car il a pris du retard dans ses dossiers. Julie suspecte Nicolas d'entretenir une relation avec une autre femme (croyance de départ). N'ayant aucune preuve fondée, ce n'est qu'une suspicion.
Lorsque Nicolas croise Julie dans leur appartement sans lui sourire, sa croyance se renforce et se confirme. Lorsque Nicolas ne lui touche pas la main alors qu'ils sont tous les deux installés dans le canapé, la croyance de Julie se renforce. Lorsque Nicolas ne lui envoi pas de message durant la journée, la croyance de Julie se renforce.
Tous ces éléments consolident l'idée que Julie entretient à propos de Nicolas, et de sa relation secrète avec une autre femme. Mais Julie n'a pas noté certains éléments qui auraient pourtant dû attirer son attention, si elle n'avait pas été dans un biais de confirmation.
Elle n'a, par exemple, pas retenue que Nicolas l'a embrassé langoureusement quand il est entré dans l'appartement à 19h10, et qu'il lui a susurré je t'aime à l'oreille. Elle n'a pas non plus relevé la caresse dans le dos après le repas. Elle n'a pas non plus relevé le petit mot laissé par Nicolas, mis en évidence sur l'oreiller. Pour confirmer sa croyance (Nicolas a sûrement une relation avec une autre femme), Julie n'a relevé que les informations qui vont dans le sens de celle-ci.
Le biais de sélection
Ce biais est en quelque sorte une suite au biais de confirmation. En effet, c'est la tendance, dans l'étude d'un sujet (quel qu'il soit), à sélectionner certaines informations au détriment d'autres tout aussi importantes et pertinentes. Cela nous conduit à avoir une vision imparfaite et souvent tronquée du sujet en question.
Exemple en thérapie : Je questionne un client, Marc, sur un sujet sensible. Par un précédent questionnement, je dispose déjà de certaines informations nécessaires à la compréhension de son problème. Marc me fournit de nouvelles informations et je m'arrête sur l'une d'elles. En effet, elle concerne le sujet en question, donc je m'y accroche, ne réalisant pas que les autres ont autant, voire plus de valeur.
L'illusion de savoir
L'illusion de savoir est un biais de jugement qui nous conduit à réagir de façon habituelle face à une situation qui nous semble commune et familière. Face à elle, nous n'éprouvons pas le besoin de rechercher des informations complémentaires qui auraient pu mettre en évidence une différente (parfois importante) par rapport à la situation commune.
Lorsque deux situations se ressemblent, nous avons tendance à ne pas chercher plus loin, car nous avons l'illusion de savoir. En effet, si nous avons procédé de telles manières face à une situation et que cela s'est soldé par une réussite, face à une situation semblable, nous aurons le réflexe de réagir à l'identique, alors que les deux situations sont différentes.
L'erreur fondamentale d'attribution
C'est la tendance que nous avons à sous-évaluer les causes externes (des événements extérieurs, d'autres personnes, la situation, etc.) au profit des causes personnelles (dispositions personnelles, organisme, personnalité, psychologie, etc.).
Exemple : Si Jean est arrivé en retard au rendez-vous, c'est qu'inconsciemment il ne voulait pas y venir. Il a donc fait une fuite.
Dans cette affirmation, tirée d'une analyse psychanalytique, le praticien prête à l'inconscient de Jean un "comportement" qui peut rationnellement être expliqué par des imprévus rencontrés sur la route, par exemple, comme un ralentissement de la circulation.
Le biais de la cause unique (ou les explications monocosales)
Lorsqu'un événement se produit, nous avons tendance à en chercher la cause. Nous supposons donc qu'il y a une seule cause simple à un événement, alors qu'en réalité, il peut avoir été causé par un ensemble de causes différentes. Ce biais est courant, et nous tombons tous à un moment ou un autre dans le piège de la cause unique.
Exemple : S'il a eu un accident de scooter c'est à cause de son imprudence.
Cet exemple est, par ailleurs, aussi une erreur fondamentale d'attribution.
Exemple : Si cet enfant frappe les autres enfants de son âge, c'est qu'il a manqué d'éducation.
Peut-être n'a-t-il pas reçu une éducation idéale ? Peut-être reproduit-il un comportement de violence qu'il voit dans son foyer ? Peut-être a-t-il une prédisposition au stress ?
En effet, de nombreux éléments peuvent entrer en jeu dans la manifestation de son comportement.
Le biais de la corrélation illusoire
C'est un biais qui consiste à nous faire établir des liens (corrélations) entre deux événements qui n'ont en réalité aucun lien.
Un exemple bien connu : Le comique, Coluche, fait des déclarations à la télé. Ses déclarations dérangent. Il meurt dans un accident de moto. Résultat : une partie des Français en déduisent qu'il a été assassiné par l'état, ou par la CIA, leur but étant le faire taire.
La réalité plus probable (aussi ce que conclue l'enquête de police) : Coluche a eu un accident de moto qui a coûté sa mort.
Autre exemple : Le président Français doit se pencher, en 2020, sur la réforme des retraites. Il y a une grave épidémie qui début : la COVID-19. Résultat : le virus a été libéré d'un laboratoire chinois pour repousser la réforme.
C'est à partir de ce type de corrélations illusoires que certaines théories du complot démarrent. Soyez attentifs, notre cerveau est câblé pour établir des liens entre des éléments qui n'ont rien à voir entre eux. Mais pendant des dizaines de milliers d'années ce biais cognitif nous permettait cependant de relier deux événements entre eux, et cela nous a sauvé la vie.
Exemple : Je mange ce champignon rouge. J'ai mal au ventre et je vomis. Résultat : ce champignon est dangereux pour ma santé.
Le biais de notoriété ou "effet de halo"
C'est la tendance que nous avons à rendre plus positives (ou plus négatives) certaines caractéristiques d'une personne, sans vérifications approfondies, à partir de l'une de ses caractéristiques que nous avions jugée positive (ou négative) en amont.
Exemple : Du seul fait de ses compétences en microbiologie, certains estiment opportuns que le professeur Didier Raoult s'exprime sur les masques chirurgicaux, pendant la pandémie du coronavirus.
Ses compétences, s'étendent-elles au jugement de l'efficacité des masques chirurgicaux ?
Certaines personnes sont plus compétentes que lui en la matière parce qu'elles en sont expertes. Si certains accordent leur confiance à ce monsieur sur les masques, c'est parce qu'il semble être compétent en microbiologie et virologie. Si ce même monsieur s'exprime demain sur la 5G, beaucoup l'écouteront probablement, par effet de halo.
Le biais de représentativité
Ce biais est en quelque sorte la suite du biais de notoriété ou effet de halo. Notre cerveau a tendance (nous avons tendance) à porter un jugement à partir de quelques éléments qui ne sont pas forcément les plus représentatifs d'un ensemble.
Exemple : Un enfant sage, propre sur lui, avec des lunettes rondes et des cheveux bien coiffés, pourra être interprété comme étant un élève modèle.
L'effet Dunning-Kruger
Les personnes les moins compétentes sur un sujet souffrent d'une illusion de supériorité lorsqu'elles évaluent leur propre compétence. Le contraire est aussi vrai. Les personnes les plus compétentes sur un sujet donné, se croient souvent moins compétentes qu'elles le sont en réalité.
En cette période de pandémie, avez-vous vu fleurir le nombre de spécialistes déterminés à nous expliquer la virologie ?
Tout le monde croit avoir un avis et une expertise de qualité. Le problème, c'est que moins nous sommes en possession d'informations et de compétence sur un sujet, plus nous considérons que notre expertise est juste. Voilà ce qui pousse un dentiste ou encore un anesthésiste, à nous expliquer sans sourciller, avec une prestance sans faille, le fonctionnement d'un virus encore inconnu.
N'avez-vous jamais rencontré une personne qui vous explique comment mieux faire votre métier ? Comment procéder pour vous améliorer ? Une personne incompétente sur un sujet n'est pas en capacité de mesurer son degré d'incompétence. Il faut avoir un certain niveau de compétence sur un sujet pour réaliser que nous en savons peu.
L'erreur de la preuve anecdotique
N'avez-vous jamais pris pour argent comptant une information reçue d'un ami, ou encore n'avez-vous jamais partagé une publication Facebook trouvée sur votre mur d'actualités ?
L'erreur de la preuve anecdotique est un biais qui consiste à nous faire croire qu'une information non sourcée, sur laquelle nous tombons par hasard est de valeur sûre parce qu'elle nous touche ou nous marque. C'est croire que toutes les informations ont la même valeur. Ou encore, c'est croire qu'une information a de la valeur parce qu'elle nous plaît.
En général, les preuves anecdotiques "valident" les croyances que nous possédons en amont, c'est pourquoi ce biais fonctionne souvent de pair avec le biais de confirmation.
Exemple : Moi j'ai la preuve que les vaccins causent l'autisme. Tu sais comment je le sais ? Eh, bien, le fils de mon voisin a eu ses vaccins obligatoires et quelques temps après, il a présenté des signes autistiques.
Exemple : Un ami a vu un ovni, un soir de la semaine dernière. Je savais bien qu'ils existaient !
Exemple : Mon frère a attrapé le coronavirus et il n'a pas été très malade. Donc, qu'on ne vienne pas me dire que c'est dangereux.
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